L’échelle de Darwin, de Greg Bear

Ce livre a été lu dans le cadre du #DéfiLectureScience lancé par @joseenadia de l’Agence-Science-Presse.

Echelle de Darwin - couvertureVoici ma première critique dans la rubrique « Lectures » de Science Ballade.

En tant qu’amatrice de science-fiction, j’avais beaucoup entendu parler de Greg Bear, un grand nom du genre notamment connu pour avoir co-écrit la suite du cycle de Fondation d’Isaac Asimov. N’ayant encore rien lu de lui, j’ai jeté mon dévolu sur L’échelle de Darwin, un roman qui traite de l’évolution de façon très originale.

L’échelle de Darwin fait partie de la hard science-fiction, ou hard SF, un sous-genre réputé ardu car basé sur du contenu scientifique de pointe à l’époque du roman. Mais cela n’empêche nullement une histoire et des personnages intéressants.

Si la biologie ne vous rebute pas, ce serait bien dommage de le laisser passer. Mais si vous n’avez jamais lu de science-fiction, il vaut peut-être mieux ne pas commencer par ce roman.

L’histoire

Dans un futur proche, une maladie terrifiante, le syndrome SHEVA, se met à frapper les femmes enceintes. Pire : elle semble frapper presque toutes les femmes enceintes, leur provoquant des fausses couches et des mutations étranges sur le fœtus. La population humaine panique, et les gouvernements passent à des mesures extrêmes pour contrer cette catastrophe démographique.

Doù vient SHEVA ? Il serait un ancien virus enfoui dans la partie silencieuse de nos gènes qui, sous une impulsion inconnue, est remis en activité. Mais Kaye Lang, généticienne de génie, découvre peu à peu que ce virus est bien plus qu’un simple agent infectieux.

De son côté, le paléontologue Mitch Rafelson découvre, au fond d’une caverne des Alpes, trois corps préservés par le froid depuis plus de 10 000 ans. Une famille… Mais, tandis que le couple est néandertalien, le bébé ressemble étrangement à l’homme moderne… C’est comme s’il n’appartenait pas tout à fait à la même espèce que ses parents. Ce phénomène est-il lié au virus SHEVA ?

L’humanité va-t-elle disparaître ? Ou bien va-t-elle accomplir un nouveau bond dans l’évolution ?

Impression générale et critique

[Attention spoilers : des éléments de l’intrigue y sont mentionnés]

Comparé aux romans du même genre, L’échelle de Darwin me semble très abordable. Selon moi, une culture générale en biologie du niveau de fin de lycée ou études secondaires suffit pour en saisir le sens général (il faut néanmoins maîtriser ces bases). Le cas échéant, on peut utiliser le glossaire situé à la fin du livre.

J’ai trouvé l’idée d’une évolution des espèces provoquée par des anciens « virus » enfouis dans notre ADN très originale (voir plus de détails dans l’encart en bas de l’article). Par étapes successives, on assiste petit à petit à la venue d’une génération d’humains totalement différente de la précédente. En quelque sorte, Greg Bear a remis dans L’échelle de Darwin le concept de mutant au goût du jour.

Le scénario d’évolution proposé par Greg Bear ne me convainc pas vraiment. Dans son roman, on mentionne que, provoqués par un environnement ultra-stressant (guerres, compétitions féroces etc.), les virus SHEVA s’activent et enclenchent un mécanisme qui permet à l’espèce d’évoluer en une forme plus adaptée à l’environnement. Bien que cela ne soit pas du créationnisme ou de l’intelligent design (les explications dans le roman le démontrent), on n’est pas très loin du lamarckisme, idée qui stipule entre autres que toute espèce, à un certain degré, peut choisir les caractères qui seront transmis à une génération suivante « plus évoluée ». Le lamarckisme n’a pas été crédité dans les théories scientifiques actuelles (mais cela peut toujours changer). Cependant, une spéculation en hard science-fiction peut ne pas être vraie, et Greg Bear admet lui-même, dans sa postface, que ses idées peuvent s’avérer être fausses dans le futur.

L’aspect qui m’a le plus marqué dans ce roman est la manière dont Greg Bear aborde cette transformation, et les conséquences qu’elle peut apporter à l’humanité. Le contenu scientifique dans L’échelle de Darwin tend à s’effacer au fur et à mesure que l’on avance dans le livre. À la place, on trouve une histoire de précurseurs qui se battent pour faire accepter la vérité sur SHEVA et sur la génération humaine à venir. Parmi eux, se trouvent Kaye Lang et Mitch Rafelson, personnages au caractères forts, au point d’en être attachants. Chez leurs adversaires, on trouve une population abandonnée à la peur, à l’intolérance et à la violence, et un gouvernement qui prend peu à peu des mesures liberticides pour empêcher ce qu’il considère être un désastre.

Ce dernier point n’est pas sans rappeler la politique de la lutte antiterroriste du gouvernement américain. Notons que L’échelle de Darwin est paru en 1999, bien avant les événements qui ont incité les mesures que l’on connaît. En ce sens, Greg Bear semble avoir vu juste là-dessus, et nous invite à réfléchir sur les actions politiques à accomplir lors de crises de cette ampleur.

En conclusion, L’échelle de Darwin est un bon roman de science-fiction, et nous propose une réflexion intéressante sur l’évolution et sur l’avenir de l’espèce humaine.

 

Encart scientifique : des « virus » dans notre ADN

Un élément scientifique important dans L’échelle de Darwin est lié à des morceaux de notre ADN qui ressemblent à des virus. Eh oui ! On a, en quelque sorte, des « virus » dans notre ADN. On les appelle endovirus ou rétrovirus endogènes, abrégés en ERV (endogeneous retrovirus en anglais).

Les ERV ressemblent beaucoup aux rétrovirus, des virus similaires au virus du sida (VIH), qu’on appelle aussi rétrovirus exogènes. Le génome du rétrovirus est composé d’ARN, contrairement au notre qui est composé d’ADN. La particularité des rétrovirus est qu’ils peuvent transformer leur ARN en ADN avant de les insérer dans l’ADN de la cellule hôte. Cet ADN étranger peut y rester longtemps avant de devenir infectieuse.

Mais les ERV sont totalement inactives dans le corps, et ne déclenchent aucune maladie (sauf exceptions : voir plus bas). On pense qu’ils proviendraient d’anciennes infections de cellules germinales (cellules qui permettent la reproduction sexuelle). Ces cellules germinales auraient survécu, et auraient transmis ces virus défectueux aux générations suivantes.

Les ERV contenus dans les gènes humains sont appelés HERV (human endogeneous retrovirus). On suppose qu’il y a environ 5 à 8 % de HERV dans notre ADN1. Dans L’échelle de Darwin, le virus SHEVA est un HERV réactivé chez les femmes et les hommes sous l’action d’un environnement de stress élevé.

On ne connaît pas grand chose sur les effets des HERV dans le corps humain. Bien qu’inactifs, certains d’entre eux joueraient un rôle important dans la formation du placenta durant la grossesse, et donc dans la reproduction humaine2. Quelques scientifiques pensent que certains peuvent être associés à des maladies comme le cancer3 ou la sclérose en plaque 4. Selon certains chercheurs, les êtres humains auraient même le potentiel de créer des virus infectieux à partir de certains rétrovirus5.

On a trouvé chez d’autres espèces, comme le chimpanzé6, des ERV similaires à certains de nos HERV, ce qui est une preuve en plus en faveur de l’évolution des espèces.  On pense même que les ERV et HERV peuvent avoir joué un rôle dans l’évolution des espèces en régulant leurs gènes, notamment concernant la divergence entre l’être humain et le chimpanzé6. Beaucoup de recherches sont encore nécessaires pour comprendre le rôle des ERV sur cet aspect.

Références :
1. Paces et al., 2002, HERVd: database of human endogenous retroviruses, Nucleic Acids Res, 30(1): 205–206
2. Muir et al., Expression and Functions of Human Endogenous Retroviruses in the Placenta: Anplacenta Update, Placenta Volume 25, Supplement, Pages S16-S25, April 2004
3. Voir Nelson et al., Demystified… Human endogenous retroviruses, Mol Pathol. Feb 2003; 56(1): 11–18, ou Agoni et al., Detection of Human Endogenous Retrovirus K (HERV-K) Transcripts in Human Prostate Cancer Cell Lines, Front Oncol. 2013; 3: 180.
4. de la Hera et al., Human Endogenous Retrovirus HERV-Fc1 Association with Multiple Sclerosis Susceptibility: A Meta-Analysis, Plos One, Mar 2014
5. Dewannieux et al., Identification of an infectious progenitor for the multiple-copy HERV-K human endogenous retroelements, Genome Res., 2006. 16: gr.5565706
6. Khodosevich et al., Endogenous retroviruses and human evolution, Comp Funct Genom 2002; 3: 494–498.

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5 réponses à L’échelle de Darwin, de Greg Bear

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  2. Guillaume Stellaire dit :

    J’ai ce roman depuis 4 ans dans ma bibliothèque et je n’ai toujours pas eu le temps de l’ouvrir. Ta chronique me fait songer qu’il serait temps d’y remédier !

    • Santifike dit :

      Ah, moi aussi, j’ai une bonne quantité dans ma PAL. Ceci dit, je découvre aussi pas mal de bouquins intéressants dans ton blog 😉

  3. ProfMalcolm dit :

    Merci beaucoup pour le partage!
    Je découvre ton blog, et ton article m’a fait ajouter un voeu de plus dans ma wishlist Fnac ^^
    Tellement de livres à lire…