La météo et le climat dans la musique

Du sombre orage vecteur de colère au radieux soleil source de joie, le temps météorologique a longtemps nourri les arts et la musique. Le mouvement artistique Sturm und Drang (Tempête et Passion), dans lequel les caprices de la nature entrent en résonance avec les émotions en est une illustration notoire. Mais comment la météo nourrit-elle l’inspiration des compositeurs ? Quel type de temps les frappe le plus, et de quelle manière l’ont ils représentée dans leur œuvres ? De même, peut-on créer des œuvres musicales à partir de données scientifiques sur le climat?

Le voyageur au-dessus de la mer de nuage par Caspar David Friedich

Les émotions de l’artiste entrent en résonance avec les caprices de la nature. Tempête et passion, c’est tout à fait ça ! (Caspar David Friedrich, Le Voyageur au-dessus de la mer de nuages)

Dans cet article, je vous présente différents études et projets qui relient autant la musique que la météo et le climat. Voilà une autre manière de voir que arts, musique et sciences peuvent se rencontrer.

La météo dans la musique classique

À quel point le temps météorologique a-t-il influencé la musique ? Les chercheurs Karen L. Aplin et Paul D. Williams nous donnent quelques éléments de réponse. En analysant une grande base de donnée de musique instrumentale classique, ces mélomanes ont découvert que les orages sont les phénomènes les plus évoqués, suivis ensuite du vent et des tempêtes en mer. Pour les représenter, la plupart des compositeurs ne se sont pas compliqué la tâche. Un tonnerre ? Un roulement de tambour. Et s’il y a du vent ? Soufflons dans un instrument à…vent. Qui plus est, des instruments ont été spécialement construits pour reproduire ces genres de sons, comme cette machine à vent illustrée ci-dessous.

Machine à vent. Crédit : Wikimédia Commons

Machine à vent. Crédit : Wikimédia Commons

Les scientifiques remarquent aussi que les plus inspirés par la météo sont surtout des Britanniques. Si les auteurs avouent un possible biais de sélection dans leur base de données (ils sont eux-mêmes Britanniques), on pourrait supposer que le temps fort variable du lieu y est pour quelque chose. D’ailleurs, les références au beau temps et au soleil sont plutôt rares en musique classique. Un tel temps les inspirent peut-être moins, ou bien il serait probablement difficile de représenter un ciel bleu à coup de violon ou au son d’une flûte. Quoi qu’il en soit, un tonnerre reste toujours bien plus « sonore » qu’un rayon de soleil. Et ce n’est pas ce passage de la Symphonie pastorale de Beethoven qui va nous le contredire.

Dans la musique pop aussi : la pluie et le beau temps

La météo n’inspire pas que les compositeurs de musique classique. D’ailleurs, en termes de pluie et de beau temps, il semblerait que la musique pop/rock soit la reine. Du moins, c’est ce qu’ont découvert Brown et ses collègues, parmi lesquels figurent Aplin et Williams qui ont fait l’étude précédente. Cette fois-ci, ils ont cherché les références météorologiques dans plus de 700 chansons de musique pop/rock. Ces références, souvent métaphoriques mais dans un style compréhensible, mentionnent surtout le soleil, puis la pluie comme type de temps météorologique. Si le beau temps évoque presque toujours des émotions positives (jouée dans des gammes majeures), la pluie peut évoquer tantôt des émotions négatives (jouée dans des gammes mineures), tantôt des émotions positives, comme dans cette chanson.

Les auteurs notent aussi que les artistes sont bien plus influencés par les phénomènes météorologiques extrêmes que par le climat ambiant. Par exemple, le mauvais temps a bien plus de chance d’être évoqué dans les chansons pop américaines durant les tempétueuses années 50s et 60s que dans les décennies qui ont suivi.

Aussi bien la musique classique que la musique pop/rock sont influencées par le temps météorologique. Mais cette influence ne les atteint pas de la même manière. Le petit tableau ci-dessous synthétise ces différences.

Source : EGU 2015 EOS 7 session Orals : « Communicating meteorology through popular music »
Musique pop/rock (Brown et al., 2015) Musique classique orchestrale (Aplin et Williams, 2011)
Le temps est évoqué Dans les paroles des chansons Par imitation dans la musique
Le temps est surtout utilisé Pour refléter les émotions Comme représentation littérale
Les types de temps les plus représentés sont Le soleil, puis la pluie Les orages, puis le vent
Les compositeurs sont surtout influencés par Le temps, les jours spécifiques et les événements extrêmes Le climat local

Mettre en musique des données climatiques : un moyen pour sensibiliser le public

Ainsi, le temps météorologique participe à la créativité musicale. Il suggère des émotions particulières aux musiciens, et ces derniers le représentent, littéralement ou métaphoriquement, dans leurs créations artistiques. Mais les données scientifiques du climat pourraient-elles inspirer autant les artistes ? Si un orage au milieu de la nuit peut frapper l’esprit du commun des mortels, on pourrait douter que des valeurs abstraites de température puissent générer une quelconque poésie.

Or, Daniel Crawford, étudiant à l’université du Minnesota, a relevé le défi. Il a convertit les valeurs de température moyenne globale de 1880 à 2013 en notes de musique pour créer un morceau pour violoncelle, A song of a warming planet. Pour la composer, il s’est basé sur les données de la NASA Goddard Institude for Space Studies. À la température la plus basse de cette base de données, il associe la note la plus basse de son instrument, et à la température la plus élevée, sa plus haute note. Comme résultat, nous avons un morceau légèrement dissonant pour l’oreille non habituée, mais pas déplaisant à écouter.

Remarquez que les notes aiguës (donc les températures élevées) sont bien plus fréquentes à la fin du morceau (ces dernières années) qu’au début (en 1880).

Plus tard, Crawford décide de mettre en musique non seulement la variation de température dans le temps, mais aussi celle dans l’espace. En effet, les endroits de la Terre ne subissent pas de façon égale le réchauffement climatique, et les températures de l’Arctique ont bien plus augmenté que celles de l’Équateur. Pour sa nouvelle composition, Planetary Bands, Warming Worlds, Crawford se sert cette fois-ci un quatuor à cordes (2 violons, un alto et un violoncelle). Chaque instrument représente la température moyenne d’une partie spécifique de l’hémisphère Nord de la Terre : le violoncelle représente la température à l’équateur, l’alto celle des latitudes moyennes, le premier violon celle des hautes latitudes et le deuxième violon celle de l’Arctique.

En appliquant le même principe que dans A song of a warming planet, il ajuste cette fois-ci la plus basse température de l’Arctique en 1880 a la note la plus basse du violon, et la température la plus haute à la note la plus haute qu’un violon peut jouer. Il applique la même méthode pour les autres instruments, mais cette fois-ci en ajustant les variations de notes pour que tout soit harmonieux.

Crawford est convaincu que communiquer le réchauffement climatique par la musique n’est pas seulement un moyen original de présenter les données scientifiques, mais est aussi une autre façon de relier une fois de plus les sciences et les arts. Avec ses deux compositions, il démontre, comme l’ont fait des physiciens du CERN, que l’on peut créer de l’art à partir des données scientifiques. Ce genre de démarche, les compositeurs du 19ème siècle ne l’auraient probablement pas fait. Néanmoins, ces morceaux, aussi « abstraits » que les données sur lesquelles ils se basent, touchent quand même à notre corde émotionnelle. Car, en écoutant le son strident d’un violon qui évolue vers l’aigu tout au long du morceau, comment ne pas ressentir le prochain bouleversement qui s’annonce pour notre environnement ?

En bonus : d’autres projets musicaux qui s’inspirent du climat

Pour terminer, si vous voulez découvrir d’autres projets qui mélangent musique et climatologie, jetez un coup d’œil dans ces liens :

  • PolarSeeds – Sound : de la sonification de données journalières et annuelles du climat polaire arctique.
  • Fiddling While de World Wars : un morceau de musique digitale qui retranscrit 600 années de données de température.
  • Of Water and Ice : des morceaux tirées de données climatiques et créées par le compositeur de musique hip hop Paul D. Miller après son voyage en Arctique. Auparavant, il y a composé la Sinfonia Antartica, un morceau assez réussi dont voici un extrait :
  • Years : de la musique pour piano tirée des données des anneaux des arbres. Chaque anneau d’un arbre représente une année, dont la grosseur est un indicateur du climat de cette année. Le résultat est magnifique. Jusqu’alors, j’ignorais que des arbres puissent produire une si belle musique.
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2 réponses à La météo et le climat dans la musique

  1. Emmanuel dit :

    Très intéressant !
    Le début de l’article m’a fait penser à ça : https://www.youtube.com/watch?v=2QQFwqET2gA