La Ménagerie de Papier – Ken Liu

ken_liu_menagerie_de_papierS’il y a livre à ne pas rater cette année,  c’est La Ménagerie de Papier de Ken Liu. Ce recueil de 19 nouvelles de science-fiction, fantastique et fantasy est un vrai régal pour les amateurs en littérature de l’imaginaire. Mais s’il vaut le détour, c’est surtout pour ses thèmes : des histoires centrées sur l’être humain et sa relation avec soi et avec les autres, le tout raconté avec style, beauté et émotion.

Ken Liu est un Américain d’origine chinoise,  juriste à plein temps, traducteur et aussi programmeur.  Écrivain prolifique, il a produit près de 120 nouvelles dont certains ont raflé des prix, comme les prestigieux Nebula, Hugo et World Fantasy.  Cette année, il a publié son tout premier roman, The Grace of Kings, un récit qui s’inspire tout aussi bien des canons narratifs de la fantasy occidentale que de ceux de la « fantasy chinoise » (dite wuxia). Pour les francophones, La Ménagerie de Papier, publié par les éditions Le Bélial, est une excellente occasion de découvrir son œuvre, et, peut-être comme moi, de l’apprécier.

L’auteur mentionne dans sa préface qu’il ne s’attache pas à la distinction des sous-genres de l’imaginaire. Mais, quel que soit le type d’histoires qu’il traite, Ken Liu s’intéresse surtout à l’être humain et sa relation à soi, l’univers et les autres, dans une société créée avec l’imaginaire et les idées spéculatives typiques du genre. Le tout est transmis avec un style fluide et concis, capable de transmettre les concepts les plus abstraits et les émotions les plus profondes en peu de mots.

Des nouvelles de Ken Liu parlent de la conscience humaine et de l'(in)existence du libre-arbitre, rappelant ainsi ceux de Greg Egan et de Philip K. Dick. L’être humain n’est-il qu’une machine indistinguable d’un robot évolué (Les Algorithmes de l’amour) ? La croyance en dieu serait-il le résultat d’une erreur de programmation de notre cerveau  (L’erreur d’un seul bit) ? Notre destin est-il déjà tracé (L’Oracle) ? Pouvons-nous accepter de plein gré qu’une multinationale contrôle notre vie privée en se servant de nos données (Faits pour être ensemble) ? Dans Emily vous répond, les souvenirs peuvent être effacés à volonté, tandis que Renaissance pose, sur fond d’invasion extraterrestre, la question de la culpabilité d’une personne ou de tout un peuple après qu’il ait retiré de sa propre mémoire tout le « mal » qu’il avait commis. (C’est peut-être moi qui voie une analogie là où il n’y en a pas, mais je perçois aussi dans Renaissance une intéressante perversion des concepts de renaissance et de karma bouddhistes.)

D’autres se focalisent sur les relations humaines. Comme chez Confucius, l’être humain chez Ken Liu est vu comme une entité non pas isolée mais plutôt en lien avec les autres, et plus particulièrement avec ses proches. Les relations traités peuvent être ceux entre mari et femme (Le journal intime), ou plus souvent ceux entre parents et enfants. Étant donné la double culture sino-américaine de l’auteur, on y trouve des familles chinoises, plus précisément une famille chinoise de la diaspora, comme dans l’humoristique Le Golem au GMS, dans lequel une petite Newyorkaise sino-juive reçoit une curieuse révélation divine alors qu’elle partait en vacances avec ses parents dans l’espace.  D’autres cultures asiatiques sont aussi abordées, comme dans La Plaideuse, nouvelle de fantasy historico-policière située dans une « Mandchourie » multiculturelle fantasmée, ou comme dans Mono no Aware (Prix Hugo 2013), une magnifique nouvelle décrivant avec poésie l’attitude du peuple japonais dans un contexte de fin du monde.

Mais la plus belle histoire dans ce recueil est sans conteste La Ménagerie de Papier (Prix Nebula 2011, Hugo et World Fantasy 2012).  L’auteur y raconte, avec des origamis qui prennent vie, la relation d’une mère chinoise, mariée « sur catalogue », et de son enfant Américain qui fini par haïr, puis par rejeter sa culture d’origine pour pouvoir s’intégrer. (On peut lire cette nouvelle en version originale ici). Personnellement, je ne suis pas restée indifférente à sa lecture, en partie pour sa poésie, mais aussi parce qu’il traite avec justesse de racisme, et plus particulièrement de racisme contre soi, dans un monde, notre monde, où la culture dominante est (encore) la culture occidentale.

Si l’on peut entrevoir un certain côté « engagé » chez Ken Liu c’est probablement dans sa façon de dénoncer, sans animosité ni manichéisme, l’ethnocentrisme et le « regard colonial », et aussi de promouvoir le dialogue entre cultures. Transposés dans ses nouvelles on pourrait penser à La Peste, où un homme voudrait « sauver » un peuple de transhumains contre leur gré, ou bien à Nouvelle Forme de Pensée, une de mes préférées de ce recueil (avec La Ménagerie de Papier bien sûr). Dans cette nouvelle, on aborde la rencontre et la difficulté de communiquer avec l’autre, i.e. les extraterrestres, ainsi que de choc culturel. Une excellente histoire qui n’a rien à envier avec le meilleur d’Ursula Le Guin !

Terminons par une brève présentations des autres nouvelles de La Ménagerie de Papier. Trajectoire et Les Vagues traitent avec humanité du concept de l’immortalité. Dans Le livre chez divers espèces et Le peuple de Pélé, Ken Liu imagine avec inventivité à quoi pourrait ressembler une vie ou une intelligence extraterrestre. Enfin, l’auteur nous prouve qu’il peut très bien verser dans la « stylistique » avec les très courtes Avant et Après (une phrase étalée en deux pages!) et Nova Verba, Mundus Novus, de l’oulipien sur fond de cosmogonie sino-indienne (et non pas un hommage à Pratchett, comme l’ont cru certains lecteurs).

Il y a bien longtemps que je n’ai plus lu avec tant de plaisir un ouvrage de science-fiction. Ken Liu est devenu mon auteur de l’année. En attendant les prochaines traductions des éditions Le Bélial, je lirai volontiers quelques autres de ses nouvelles dans sa version originale.

La Ménagerie de Papier, Ken Liu. Traduction de Pierre-Paul Durastanti (2015), Editions Le Bélial’, n°91, 448 p.

Partagez vos découvertes!Share on Facebook
Facebook
0Tweet about this on Twitter
Twitter
Share on Google+
Google+
0Email this to someone
email
Print this page
Print
Taggé , , , , .Mettre en favori le Permaliens.

Une réponse à La Ménagerie de Papier – Ken Liu

  1. Ping :La Ménagerie de Papier - Ken Liu - Scien...